• Vivement les vacances par un plagiste

    Enfin! Nous y sommes! On prédit le retour de la belle saison. Du soleil à profusion, de la chaleur plus qu'on en demande. Tout ce qu'il faut pour me plaire. J'ai hâte de les voir tous arriver. Chaque année, un festival de visages pâles et de corps fatigués. Le même cérémonial de dépôt d'objets indispensables. J'en frémis déjà… Météo France annonce un mois de juin caniculaire, je vais commencer à travailler plus tôt que prévu.
    Qui sera mon premier client? Je me demande tiens… Peut-être des amoureux...

    J'aime bien les amoureux, surtout quand il s'agit d'une liaison pas vraiment légitime. A coup sûr je dois m'occuper d'eux, leur offrir un abri, un écrin, une oreille attentive à leurs conversations les plus intimes… Je me rappelle deux parisiens, des gens charmants qui passaient leur temps à se murmurer des mots doux et à se tenir la main. Ils étaient venus à deux couples d'amis et dès les premiers jours, un échange clandestin avait eu lieu entre les quatre personnes. Ce qui était amusant, c'est que chaque nouvelle entité formée ignorait que l'autre se livrait aux mêmes activités sensuelles, cela a donné lieu à quelques péripéties cocasses; plus d'une fois ai-je pensé que l'un finirait par surprendre l'autre. Il n'en fut heureusement rien, je crois que j'aurais pu recevoir un mauvais coup!

    Les amoureux, cela me plaît beaucoup, tout comme les amants, ceux d'un soir, d'une nuit, qui ont besoin de moi pendant quelques heures, qui réclament mes services sans véritablement m'accorder d'importance. J'ai essentiellement une fonction d'utilité pour eux, rien de plus. Au début, mon amour-propre en a pris un coup, je me suis sentie vexée, j'avais envie de les chasser, même si je savais que cela m'était impossible. Je pouvais me débrouiller pour faire du bruit et leur faire peur, les faire déguerpir à toute vitesse mais à quoi bon… Je l'ai bien fait une ou deux fois et tout de suite, je m'en voulais. C'est vrai quoi, c'est beau l'amour, que ce soit dans des draps ou dans les méandres du cœur. Finalement, c'était bien plus sympathique de devenir complice de leurs ébats et je rougis encore en songeant à ces images de jambes croisées, de cœurs haletants et de mains curieuses.

    Ou alors ce sera peut-être une famille. Les premiers week-ends ensoleillés, j'ai souvent droit à des familles. Cela aussi j'aime bien. Les enfants qui rient aux éclats, qui hurlent leur bonheur, y a pas à dire, il n'existe rien de plus beau. Et ces secrets qu'ils me confient, ces trésors dont j'ai la garde, à chaque fois, ça me remue, je ne m'en lasserai jamais. Quel bonheur de voir leurs petits yeux briller, de les entendre chuchoter.
    Je me souviens du petit Alexandre qui revenait chaque année avec ses parents et sa grande sœur. Je l'ai vu grandir, passer du petit garçon peureux à ce beau grand jeune homme qui me ramène de temps à autre une jolie fille. La première fois que l'on s'est rencontrés, il devait avoir six ans, il venait se blottir dans mes bras en disant qu'il avait trop chaud et puis qu'il y avait un grand boutonneux, juste à côté, qui passait son temps à l'ennuyer. Je l'ai écouté pendant des heures me raconter ses chagrins et ses rêves les plus fous. Quelle imagination! Il inventait toutes sortes d'histoires avec de glorieux chevaliers et des agents secrets, des poseurs de bombes et des femmes éplorées à sauver. Je me suis bien amusée!

    Parfois, c'est plus triste. Il m'est arrivé d'héberger quelques sans-abri pendant la nuit. Des gens paumés qui attendent le départ des derniers occupants pour poser leur maigre baluchon et voler quelques heures de sommeil à l'abri du vent ou de la police. La plupart du temps, j'ai pitié d'eux, sauf lorsqu'ils me balancent une bouteille de mauvaise vinasse à la figure. Je ne supporte pas ça. Ni quand ils sont malades à force d'avoir trop picolé. Il y a une de ces odeurs ensuite… Infect! Et ça peut durer quelques jours.
    Le plus souvent, ces oubliés de la vie sont de véritable crève-cœurs, des gens malchanceux que plus personne ne regarde, qui font honte à tous et qu'on contourne en se pinçant le nez. Si je peux leur apporter un peu de réconfort et protection, c'est déjà ça.
    Ma grande crainte, c'est que dans un geste de désespoir, ils décident de quitter ce monde ingrat et profitent de ma présence pour mettre leur projet à exécution. C'est arrivé une fois. Une jeune fille anéantie par un chagrin d'amour, un salaud qui lui avait fait un enfant puis s'était tiré. Elle ne savait pas comment s'en sortir, je ne pouvais rien faire, juste lui tendre les bras et l'accueillir. Impuissante, je l'ai regardée avaler un par un une tonne de petits comprimés blancs puis s'endormir pour toujours. Le lendemain, quand la nouvelle de son décès s'est répandue, ce fut un sacré remue-ménage, j'ignore combien de personnes m'ont marché sur les pieds et triturée dans tous les sens. Pauvre gamine, vraiment…

    Heureusement, c'est rarement aussi sordide; la plupart du temps, c'est vivifiant et très joyeux, je me sens heureuse. Même quand Fredo et son détecteur viennent me tourner autour, ça me rend d'humeur légère. Je le sens qui me frôle, qui se glisse en dessous de moi pour m'ausculter dans tous les coins. Pas de chance, jusqu'à présent, je n'ai jamais pu lui rendre service et lui offrir quoi que ce soit mais qui sait, peut-être un jour…!

    Hmmm le soleil brille, ça fait du bien et ça sent bon les vacances qui approchent.
    D'ailleurs, voilà Gaétan et son petit pot de couleur bleu ciel, sifflotant, pinceau à la main. Il se dirige vers moi, me regarde en souriant, me caresse avec gourmandise en me disant "Allez ma belle, c'est l'heure de te refaire une beauté, ils vont bientôt arriver!".

    Oui, il n'y a pas à dire, c'est rudement bien une vie de cabane de plage…


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